ELLIPSE
Vernissage le vendredi 13 septembre 2019 à 18h00
Ouverture du 14 septembre au 20 octobre 2019
jeudi, vendredi, samedi de 14h à 18h et sur rendez-vous
20 années d’existence nous ont permis d’expérimenter pleinement les réalités de la vie d’un centre d’art associatif.
Le profil que nous tentons de façonner à Circuit, s’est construit sur ces réalités: heureuses, agréables, enrichissantes, précaires, difficiles, toujours
engageantes.
Dans un contexte social et sociétal souvent mal adapté à des préoccupations d’ordre non-commercial, l’inquiétude de voir notre plateforme de travail disparaitre va de pair avec les difficultés de mise en place de stratégies et de modes d’existence viables rencontrées par les artistes. Cette réalité a contribué à définir les pistes de réflexions que nous souhaitons développer et refléter dans ce projet.
Les fils conducteurs que nous souhaitons suivre et étudier seront ceux de la disparition et de l’inachèvement. Ce spectre de recherche entend aborder, de façon fragmentaire et élargie, la difficulté qu’ont pu éprouver certains artistes à tenir et à poursuivre une activité artistique cohérente sur une durée conséquente. Cette même contrainte a mené d’autres artistes-chercheurs à la décision de résister. Une résistance à la spéculation, à la production. Un effort de silence, de dissolution et de retrait ou de ralentissement, en réponse à un système de consommation accéléré.
Une posture de ce type pourrait être considérée chez Michel Parmentier, l’un des co-fondateurs de BMPT, pour qui l’inefficacité est subversion. Parmentier se désolidarise par la démission du groupe en 1967, précipitant
sa dissolution.
Il espacera dès lors la réception de sa propre pratique, à l’instar de Marcel Duchamp, et en pliera la perception, dans l’idée d’éviter un «non-choix» par son interruption conceptualisée de peindre en 1968. Malgré cette cessation, qu’il explique comme un prolongement intime de son travail, il laissera s’organiser des expositions de son travail pour des raisons d’une part didactiques mais aussi pour éviter d’éventuelles sacralisations qui
s’appuyeraient sur un mythe de l’absence. En 1983, il reprendra pourtant sa peinture, en suivant les même protocoles de fabrication qu’auparavant, une peinture basée sur le pli de la toile (pour faciliter l’application de la peinture et pour en rendre visible son processus de fabrication).
Plus proche de nous, la citation Disparaître Ici de Didier Rittener brossée sur un mur de Môtiers en 2003 indique cette même préoccupation pour l’oubli et un intérêt pour l’effacement de l’oeuvre.La formule est tirée d’un roman de Breat Eston Ellis intitulé Less than Zero (1985).
Laurence Pittet, artiste romande, née en 1964 a très vite cessé son activité. Une carrière fulgurante, un arrêt volontaire, fruit d’un désaveu des milieux artistiques et de leurs fonctionnements, mérite que l’on associe sa démarche éclectique mais brève à la réflexion que nous menons et que nous développerons.
Notre exploration de la disparition débutera cet automne avec une mise en exposition des écrits de Gustav Metzger, pionnier dans l’art de la destruction. Geste engagé et dirigé à l’encontre de la dominance des marchés et leur impact sur les démarches et les thèmes abordés par les artistes.
Dans notre recherche, différents types de renoncements seront mis en parallèle et agencés afin d’établir une cartographie de circonstances, de contextes, de constats et de décisions réfléchies qui ont parfois pu mener des artistes à cesser volontairement, toute activité relative à l’art. Dans certains cas, le refus, l’abandon est lié à une déception (les exemples
de Cady Noland, Robert Morris: doute de 1983, Christoph Gossweiler en 2010), d’autres fois constructif, à valeur dénonciatrice, dans une gestion des temporalités de réception ou dans le choix de son public (Lee Lozano avec General Strike, 1969; Raivo Puusemp et son projet Dissolution; Charlotte Posenenske qui préférera partager son oeuvre en dehors des lieux traditionnels de l’art. Posenenske déclarera d’ailleurs dans un manifeste paru en mai 1968 : « Il m’est douloureux de constater que l’art ne peut pas contribuer à résoudre les problèmes sociaux urgents.»).
Greg Curnoe, artiste canadien antiaméricain, interviewé par Radio Canada (CBC: Canadian Broadcasting Corporation) en 1975, relève que l’ingrédient et l’enjeu de la réussite des recherches menées par les artistes identifiés sous l’appellation «London Regionalism» s’expliquait par la volonté de se fédérer en union d’artistes dans une ville, London, Ontario à l’écart des grands axes artistiques. Ces artistes ont ainsi défendu et assumé de développer leurs pratiques individuelles tout en se souciant de la communauté artistique locale qu’ils composaient et à laquelle ils participaient activement.
https://www.cbc.ca/player/play/2682207336
Cette similitude avec la richesse et la situation actuelle de la scène de l’art contemporain à Lausanne avive notre intérêt pour les réflexions anticipatrices menées par ce groupement d’artistes dès les années 50.
Certains d’entre eux (dont Greg Curnoe) s’associeront d’ailleurs pour former en 1965 le groupe de musique bruitiste Nihilist Spasm Band (NSB), basé sur le non-savoir musical, l’improvisation et la conception d’instruments détournés ou bricolés. NSB, malgré le décès de plusieurs de ses membres, est toujours actif aujourd’hui. Ces pionniers de la musique Noise, provinciaux par choix, ont involontairement influencé des groupes tels que Sonic Youth, R.E.M. ou encore le groupe japonais Hijokaidan actif à la fin des années 70. Dans le cas de ce dernier, son unique membre permanent, Jojo Hiroshige, produit en parallèle des disques d’autres musiciens, dont NSB, sous le label Alchemy Records.
Cette nécessité de promouvoir et défendre des pratiques d’autres artistes, est fidèle à l’esprit d’échange, de collaboration et de réseau que Circuit tente de mettre en place depuis 20 ans. L’intérêt documentaire pour des histoires pépriphériques, oubliées ou silencieuses fait aussi partie du cahier des charges que nous avons déterminé.
Notre modèle à penser le format d’exposition, s’il n’est pas précisément idéologique et si nous en possédons vraiment un, prendrait plutôt ses sources dans l’usage (la réactivation) très précoce (en 2001, trois ans après notre création), que fait Circuit du Freistilmuseum. Celui-ci s’attache à présenter très factuellement par le biais de documents, des similitudes présentes dans des situations sociétales en écho à des contextes artistiques identifiés.
Ces commentaires révèlent des systèmes que l’humanité a pu mettre en place, des utopies qu’elle a pu générer, des rôles et des influences qu’elle a pu exercer à des époques et dans des contextes particuliers.
Documenter de tels comportements d’artistes, de rôles et d’enjeux auto- définis, d’engagements discrets, stoppés nets, voués à être oubliés, passés sous silence, ou dans certains cas récupérés par l’industrie culturelle,
sous-tend une responsabilité historique et un soucis de conservation et de témoignage importants.
Il nous a donc paru pertinent de constituer une liste typologique d’actions et de sentiments constaté dans notre domaine à des niveaux individuels ou collectifs, dont voici une premier aperçu :
ALTERNATIVE - SOLUTION - DISCUSSION - RÉUNION - INACHÈVEMENT
- PRODUCTEURS DE BROUILLAGE - CONFUSION
INTENTIONNELLE - ANONYMAT - HÉTÉRONYMIE - EFFACEMENT -
ALTERNANCE: CONVICTION & DÉGOÛT - DOUTES - CRISE -
EN MARGE - PÉRIPHÉRIE - DÉCENTRALISATION - ALTERNANCE -
DÉPLACEMENTS - DÉTOURNEMENT - RALENTISSEMENT - PAUSE -
INTERRUPTION - REFUS - DÉMENTÉLEMENT - RÉSISTANCE -
DÉMONTAGE - DÉMYSTIFICATION - ARRÊT FORCÉ - DESTRUCTION
S’il nous parait aujourd’hui essentiel d’aborder ces questions de fond, c’est pour sensibiliser l’opinion sur les réalités et les efforts que représentent l’aventure artistique.
Les artistes ont une grande capacité à développer des modèles d’autonomie, à générer et mettre en place des alternatives ainsi que tous les apports que cela représente en termes philosophiques.
Ces qualités sont aujourd’hui également identifiées, étudiées et relevées par des économistes comme des formats à haut potentiel viables pour affronter les complexités sociétales imminientes qui nous attendent. Notamment la délégation de décisions globales prises par des intelligences artificielles qui analysent nos empreintes numériques, modifiant progressivement nos rapports historiques à l’espace, au temps, et aux autres (http://ericsadin.org/node/20).
Relire et communiquer l’histoire de ces silences nous parait crucial. La mise à disposition de ces constatations aux générations futures, la présentation de modèles chronologiquement antérieurs mais étonnament novateurs et prémonitoires, s’avèrent des outils adaptés aux contextes qui surviennent, qui impactent et structurent nos vies.
Favoriser l’émergence de nouveaux talents passe par la défense de valeurs humanistes en recul constant et une préparation du terrain d’investigation. Ceci débute selon nous par un temps d’arrêt et de réflexion.